Essais nucléaires français au Sahara en 1960 : affectent-ils ma santé aujourd’hui ?

Article : Essais nucléaires français au Sahara en 1960 : affectent-ils ma santé aujourd’hui ?
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10 mars 2014

Essais nucléaires français au Sahara en 1960 : affectent-ils ma santé aujourd’hui ?

 

ONE OF THE MOST IGNORANT TESTS EVER--NOT MY PHOTO par Robert Huffstutter, via Flickr CC
ONE OF THE MOST IGNORANT TESTS EVER–NOT MY PHOTO par Robert Huffstutter, via Flickr CC

Des révélations sur les essais nucléaires français de 1960 on fait couler beaucoup d’encre en mi-février passé. Certainement que l’encre coulera encore plus dans les mois à venir, vu l’importance de l’intérêt que ces révélations suscitent. En effet, le journal « Le Parisien » a publié le 14 février 2014, un article intitulé ainsi : « Le document choc sur la bombe A en Algérie. Des documents secret-défense montrent l’étendue des retombées radioactives des essais nucléaires français dans le Sahara au début des années 1960 « . Le quotidien algérien « Liberté » rétorqua que « C’est pire que ce qui a été dit et même imaginé ». La nouvelle s’est ainsi vite répandue à travers le monde. La première des bombes A de la série des essais, surnommée « Gerboise bleue » par la France a été lancée le 13 février 1960. A en croire « Jeune Afrique« , elle serait six fois plus puissante que la bombe larguée à Hiroshima en 1945 par les Etats-Unis. La cartographie de la zone touchée par la Gerboise bleue, jadis classée secret-défense, montre que toute l’Afrique du Nord, toute l’Afrique de l’Ouest, une partie de l’Afrique centrale et la partie sud de l’Europe ont été touchées par les retombées radioactives. Tous les pays de l’Afrique de l’Ouest ont été atteints dès le 8e jour, dont le Niger, le Nigeria, le Mali, le Burkina Faso, le Bénin, le Togo et le Ghana dans les 4 premiers jours.

Avant ces révélations, seuls les vétérans français desdites campagnes d’essais nucléaires et l’Algérie avaient soulevé des questions d’indemnisation de la part des autorités françaises. Ces révélations ouvrent donc la voie éventuellement à d’autres plaintes et réclamations de dédommagement, venant de tous les pays atteints par les retombées radioactives. L’Algérie ne veut donc plus perdre le temps, et pense même à exploiter l’opportunité de coopérer avec les pays voisins touchés pour avoir gain de cause.

La question de savoir si les retombées radioactives de ces essais affectent la santé de la population d’aujourd’hui, amène à revoir un peu la période de radioactivité, la portée et quelques mécanismes de toxicité des éléments radioactifs contenus dans cette bombe A.

La période d’un élément radioactif, c’est la période durant laquelle il reste radioactif. C’est-à-dire simplement, le temps durant lequel il est capable d’émettre des rayonnements. Lorsqu’une explosion nucléaire a lieu, plusieurs radionucléides sont émis,  mais ceux-ci ont des périodes variables dont dépendra leur devenir dans l’environnement. Ceux qui ont des périodes courtes disparaissent rapidement, tandis que ceux qui ont des périodes longues subsisteront aussi longtemps en fonction de la période. Les radionucléides qui subsistent sont par exemple le césium 137 (période 30 ans), le strontium (29,12 ans), le tritium (12,35 ans), le krypton 85 (10,4 ans) et les isotopes du plutonium de période 87,7 ans à 24 100 ans. Ces radionucléides auront donc suffisamment de temps pour nuire à l’environnement et à la santé. Mais, l’ampleur de leur impact pourra aussi dépendre de leur portée.

La portée d’un radionucléide, c’est la distance à laquelle il peut retomber du point de rejet. Elle détermine la dispersion des radionucléides et est dépendante de ses caractéristiques physicochimiques et de la météorologie. Les produits volatils comme l’iode 131 et le césium 137 peuvent parcourir de très longues distances (voire des centaines de kilomètres) avant de se déposer. On peut supposer que ces radionucléides font partie des principales retombées qui ont atteint les pays situés loin de l’Algérie, la zone de rejet. En considérant les périodes, 8,04 jours pour l’iode 131  et 30 ans pour césium 137, on est sûr que ces éléments ont tous atteint tous les pays de l’Afrique de l’Ouest et ont exercé leur toxicité.

Les éléments radioactifs ont généralement deux types de toxicités. Une toxicité due à la radioactivité (radiotoxicité) et l’autre due à la structure chimique de l’élément (toxicité chimique ou chimiotoxique). La radiotoxicité est due à l’exposition aux rayonnements ionisants émis par les radioéléments et se manifeste par l’irradiation. L’exposition aux rayonnements ionisants se fait soit par voie externe, soit par voie interne. L’exposition externe c’est lorsqu’on est irradié par les rayonnements de sources extérieures, qui arrivent au contact de la peau. Quant à l’exposition interne, c’est lorsqu’on est irradié par les rayonnements émis à l’intérieur de l’organisme par les radioéléments qu’on a ingérés (à travers les aliments contaminés) ou inhalés (à partir de l’air pollué). Un élément dont la radioactivité est dépassée ne peut plus être radiotoxique. La radiotoxicité peut, en dehors des brûlures mortelles, se traduire par des modifications du génome conduisant à des maladies génétiques transmissibles ou des cancers et par des affections de certaines fonctions comme la fécondité, la mortalité, la morbidité et le comportement. L’iode 131 et le césium 137 possèdent tous des radiotoxicités. L’organe cible de l’iode radioactif est la thyroïde ; pour certaines doses élevées chez l’enfant il peut augmenter le risque du cancer de la thyroïde et le risque d’hypothyroïdie radio-induite définitive. La distribution du césium 137 se fait dans tout le corps, dans les parois artérielles et les surrénales. A forte dose, le césium 137 est responsable du syndrome aigu d’irradiation avec aplasie médullaire. Toutes les personnes qui vivaient sur les zones touchées par les retombées radioactives à l’époque des essais et jusqu’à 30 ans après (jusqu’en 1980), ont certainement dues être exposées aux rayonnements ionisants. Mais les effets se sont produits en fonction de la dose reçue et de la sensibilité de chaque individu.

La toxicité chimique, enfin, elle est liée à l’affinité qu’ont les radioéléments avec certaines molécules de l’organisme. Les radioéléments reconnus pour leur toxicité chimique sont par exemple l’uranium (période 246 000 à plus de 4 milliards d’années), le cobalt (période 70,8 jours à 5,27 ans), le bore, le sélénium (période 1,1 million d’années), le technétium et l’iode. Le cobalt se fixe sur les molécules du patrimoine génétique, avec possibilité d’induire des cancers. L’iode 131 se fixe naturellement sur la thyroïde et le césium-137 se distribue dans tout le corps. La concentration du césium 137 dans le muscle cardiaque par exemple peut y engendrer des pathologies cardiaques, comme des arythmies. Le césium 137 peut perturber plusieurs autres fonctions physiologiques et métaboliques conduisant à des malformations congénitales, des troubles neurologiques et autres pathologies non cancéreuses.

En résumé, l’iode 131 de période 8 jours et le césium 137 de période 30 ans sont les principaux radioéléments de longue portée en cas d’essai nucléaire. Aujourd’hui, leur  contribution à la radioactivité dans l’environnement est nulle (NB : il existe une radioactivité naturelle à laquelle nous sommes quotidiennement exposés). Les populations vivantes dans les pays relativement reculés de l’Algérie ne sont plus exposées aux radiations de cette bombe. Seules les populations qui vivent dans les zones proches du site de l’essai, restent exposées aux radiations des radionucléides de longue période (par exemple les isotopes du plutonium) et de portée faible qui y persistent. Mais si nous tenons compte de la transmissibilité des maladies provoquées, certaines personnes aujourd’hui seraient porteuses d’anomalies dues à l’exposition de leurs géniteurs aux radiations de la Gerboise bleue française.

Par Julien DEMBELE, MSc.

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